Achats publics et élections municipales : les règles essentielles
Les élections municipales de mars 2026 approchent à grands pas. Pour les collectivités territoriales, cette période n'est pas ordinaire en matière d’achat public.
Décryptage des règles à respecter.
Une période en deux temps
La période électorale se divise en deux phases distinctes, chacune avec ses propres contraintes : avant le premier tour des élections et après, jusqu'à l'installation des nouveaux élus.
Avant le premier tour : toute liberté d'action
Jusqu'à la veille du premier tour des élections municipales, les équipes en place disposent de l'intégralité de leurs compétences. Rien ne s'oppose, théoriquement, à ce qu'un conseil municipal lance et conclue n'importe quel marché public, peu importe son montant, sa durée ou son objet.
Vous pouvez attribuer un contrat de concession de trente ans quelques jours avant le scrutin ? Techniquement, oui. Mais attention : cette liberté comporte des écueils importants.
Attention à la composition des organes de décision
Les commissions d'appel d'offres (CAO) et les commissions de délégations de service public (CDSP) restent compétentes avant le premier tour. Mais la jurisprudence du Conseil d'État impose une règle stricte : l'intangibilité de la composition de ces organes tout au long de la procédure.
Concrètement, cela signifie qu'une fois la procédure d'attribution lancée, vous ne pouvez pas modifier la composition du jury sans risquer l'annulation de l'ensemble de la procédure.
La raison ? Le juge considère que tout changement dans la composition d'un jury constitue une rupture d'égalité entre les candidats.
Le Conseil d'État a tranché sur ce point : « pour éviter notamment le risque d'une rupture de l'égalité entre les candidats, un jury appelé à donner un avis sur le choix du titulaire d'un marché public ne peut voir sa composition modifiée au cours de la procédure » (CE, 25 janvier 2006, Communauté urbaine de Nantes, Req. n°257978).
Une seule exception existe : dans les procédures restreintes, vous pouvez remplacer un membre du jury entre la phase de sélection des candidatures et la phase d'examen des offres, mais uniquement si ce membre a démissionné ou ne peut plus siéger pour une raison indépendante de sa volonté. Cette exception pourrait théoriquement s'appliquer en cas de modification liée aux élections, mais la jurisprudence reste peu prolixe sur cette question.
Conseil pratique : avant de lancer une procédure ouverte complexe, demandez-vous si elle pourra être conclue avant le premier tour. Sinon, reportez-la à après l'installation des nouveaux élus.
Après le premier tour : le régime de crise
Entre le premier tour et l'installation des nouveaux organes délibérants (conseil municipal, assemblée de l'intercommunalité, etc.), c'est une période de transition délicate. Le régime applicable est paradoxal mais bien établi.
Les organes restent compétents, mais limités
Les organes décisionnaires demeurent compétents pour assurer la continuité du service public. Le maire sortant continue à exercer ses fonctions. Les commissions restent en place. Mais cette compétence se limite strictement à la gestion des affaires courantes. Le Conseil d'État l'a clairement énoncé : les organes délibérants « ne peuvent que gérer les affaires courantes jusqu'à l'installation du nouvel organe délibérant issu de ce renouvellement » (CE, 28 janvier 2013, Syndicat mixte Flandre Morinie, Req. n°358302).
C'est une notion qui paraît simple sur le papier, mais qui révèle toute sa complexité en pratique. Car qu'entend-on par « affaires courantes » ?
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, il ne s'agit pas d'une simple question de montant. Le juge administratif examine trois paramètres : le montant du marché, son objet et sa durée.
Les trois critères (montant, objet, durée) ne doivent pas nécessairement être cumulés. Un seul peut suffire pour disqualifier un marché comme « affaires courantes ».
Les avenants aussi sont concernés
Cette règle s'applique également à la phase d'exécution des contrats. Aucun avenant substantiel ne peut être signé pendant la période de renouvellement des assemblées. Les avenants mineurs, d'ordre technique ou procédural, restent possibles.
L'urgence : une issue, mais restrictive
Existe-t-il une échappatoire ? Oui, mais elle est très étroite. Le juge administratif reconnaît la possibilité de conclure des marchés excédant la gestion courante en cas d'urgence incontestable.
Cette urgence ne doit pas être opportunément invoquée à titre préventif. Elle doit être véritablement particulière, objective et ne pas pouvoir être contournée.
Régularisation a posteriori : une planche de salut
Le juge administratif tolère une régularisation a posteriori. Si un marché a été conclu avant l'installation des nouveaux élus par une autorité incompétente, la nouvelle commission d'appel d'offres et le nouvel organe délibérant peuvent confirmer le choix de l'attributaire et réitérer l'autorisation de signature du marché. Le Conseil d'État admet explicitement cette possibilité : « un marché attribué dans ces conditions ne peut être régularisé que par l'intervention d'une décision de la commission d'appel d'offres et d'une décision de l'organe délibérant issus du renouvellement général des collectivités » (CE, 28 janvier 2013, Syndicat mixte Flandre Morinie, Req. n°358302).
Impartialité électorale : une vigilance accrue
Avant le premier tour, les élus doivent redoubler de vigilance en matière de neutralité. Les périodes électorales exigent davantage encore que d'ordinaire de respecter le principe d'égalité de traitement entre les candidats aux marchés publics. (CE, 24 juillet 2024, Req. n°491268).